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L’anacoluthe, figure de style ou erreur syntaxique ?

La Relectrice

Dernière mise à jour : il y a 1 jour

Si son nom ne vous dit rien, c’est parce que l’anacoluthe ne fait pas partie des figures de style mises en exergue à l’école, telles que la métaphore, la litote ou encore le zeugme ou l’euphémisme. Je pense qu’elle mériterait pourtant d’être étudiée… pour apprendre à l’éviter ? Dans cet article, je vais tenter de répondre à cette question. Mais avant cela, un petit tour d’analyse s’impose.

L’anacoluthe, qu’est-ce que c’est ?

Anacoluthe nous vient du grec anakolouthos, qui signifie « sans suite ». Comme son nom l’indique en partie, l’anacoluthe est une figure de style qui opère une rupture dans la construction syntaxique d’une phrase, ce qui entraîne une incohérence ou une incompréhension de l’énoncé.

Donc… tout est là. L’anacoluthe est à la fois une figure de style et une rupture syntaxique. Qui dit rupture dit erreur, alors ? Hum, non, pas forcément. Alors, où est le problème ? J’y reviendrai.


Des exemples, s’il vous plaît, qu’on y voie plus clair.

OK, OK. Par souci de clarté, je vous présente même un exemple par type d’anacoluthe.

  1. Anacoluthe de construction : modification de la construction grammaticale d’une phrase au milieu de celle-ci. Ici, on crée la surprise ou on met l’accent sur une idée.

Exemple : « Ma copine m’a dit que… non, en fait, ça ne vous regarde pas. »

  1. Anacoluthe de sujet : Ici, c’est le sujet qui change en cours de route. Cela provoque une rupture syntaxique, mais surtout une rupture dans la continuité de la pensée. Cela indique un changement de perspective ou d’attention.

Exemple : « Arrivé chez lui, sa femme l’attendait. »

  1. Anacoluthe de temps : Cette anacoluthe présente une discontinuité temporelle. On change le temps du verbe dans la phrase. Cela peut indiquer une progression chronologique ou un changement de perspective.

Exemple : « Il commence à peine à parler qu’il a déjà dit n’importe quoi. »

  1. Anacoluthe de style indirect libre : on introduit un discours indirect libre dans une phrase narrative, rendant floue la distinction entre les deux.

    Exemple : « Tandis qu’elle se balade, elle se dit qu’il est temps de – mais non, c’est encore trop tôt. »


Quelques exemples d’auteurs

a) « Les autres éternellement sur nous, j’étouffe ! »

Ici, « j'étouffe » est utilisé en proposition exclamative au lieu de « font que j'étouffe ». (Paul Claudel, Le Soulier de satin)

On ressent bien ici le langage parlé, où la rigueur syntaxique est moins respectée. La phrase est d’ordinaire comprise grâce au contexte, à l’intonation.


b) Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits,Et ne l’aimer jamais ?(Racine, Une autre voix)

Ici, Racine opère une anacoluthe, car la première phrase est conjuguée au présent de l’indicatif, tandis que la seconde utilise un infinitif.


c) « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. » (Pensées, Blaise Pascal)

Lorsque l’on commence à lire cette phrase, on s’attend à ce que la suite ait pour sujet « le nez », repris par le pronom « il ». Or, le second verbe « aurait changé » a un autre sujet : « la face de la terre ». Il y a donc anacoluthe de sujet.


Et c’est grave, docteur ?

En réalité, il n’y a rien de grave, et tout dépend de l’anacoluthe utilisée et du but poursuivi (si la rupture est volontaire). Il faut voir l’émotion que les anacoluthes provoquent (surprise, incompréhension…) pour juger de leur pertinence. Si l’on s’arrache les cheveux en relisant une phrase pour la cinquième fois et qu’on ne la comprend toujours pas, c’est mauvais signe. Si on la lit sans même se rendre compte qu’il y a une rupture de la syntaxe, il n’y a pas de mal. Et si on sourit en admirant le travail d’écriture, alors, bien joué ! (Vous l’avez vue, l’anacoluthe de style indirect libre ?!)


Le problème est le suivant : ce que l’on va considérer comme une audace de style pour un écrivain de renommée, un désir de s’affranchir des codes grammaticaux, on risque de le prendre au mieux comme une maladresse, au pire comme une erreur de style pour monsieur et madame Lambda.

Par exemple, peu de chances que l’on admire ici la liberté que vous prenez vis-à-vis de la rude grammaire française ; on aurait plutôt tendance à croire à l’erreur si vous écrivez ceci :


  • Après avoir dormi toute la matinée, la maman a réveillé son fils. (Qui a dormi toute la matinée ? La maman ou le fils ? Ou les deux ?)

  • En lui parlant, il m’a jeté un drôle de regard. (Il m’a jeté un regard pendant que moi je lui parlais ? Ou il parlait à quelqu’un d’autre ?)

  • La mer, ses vagues et sa plage, je suis toujours ému. (Je suis toujours ému de la mer, de ses vagues et de sa plage ? Ou je suis simplement toujours ému ?)


On en conviendra, la plupart de ces questionnements trouvent des réponses dans le contexte, mais s’il est intéressant d’amener le lecteur à réfléchir, il est peu pertinent de le rebuter.

Donc, pour résumer, je dirais que non, l’anacoluthe n’est pas toujours un problème, qu’elle peut même être un formidable outil d’écriture, créant surprise, réflexion, poésie, au même titre que d’autres figures de style. Toutefois, nous l’utilisons rarement de façon consciente et elle mène souvent à l’incompréhension. En ce sens, il est préférable de l’éviter.


Comment éviter l’anacoluthe ?

Méthode 1 : changer de sujet, le répéter ou nommer le sujet sous-entendu

a) La mer, ses vagues et sa plage, je suis toujours ému.

DEVIENT

La mer, ses vagues et sa plage m’ont toujours ému.

 

b) Arrivé chez lui, sa femme l’attendait.

DEVIENT

Alors qu’il arrivait chez lui, il découvrit que sa femme l’attendait.

 

c) Après avoir dormi toute la matinée, la maman a réveillé son fils.

DEVIENT

La maman a réveillé son fils après qu’il a dormi toute la matinée.

(J’en profite pour souligner qu’on utilise l’indicatif après « après que », mais c’est un tout autre sujet.)

 

d) Dans l'attente de votre réponse, veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.

DEVIENT

Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.


Méthode 2 : remplacer le verbe à l’infinitif par un nom

a) Après avoir longuement parlé, la bouche d’Éva était sèche.

DEVIENT

Après une longue conversation, la bouche d’Eva était sèche.

 

b) Je vous envoie le fichier pour approuver les modifications.

DEVIENT

Je vous envoie le fichier pour approbation des modifications.

 

Méthode 3 : déplacer des éléments

C’était un homme honnête, mais aussi très intelligent, songea-t-elle.

DEVIENT

Elle songea que c’était un homme honnête et très intelligent.

 

Méthode 4 : reformuler

Passionné de guitare, le classique est mon genre préféré.

DEVIENT

Je suis passionné de guitare et j’affectionne particulièrement le genre classique.

 

Ma conclusion

J’avais commencé cet article avec l’objectif de vous convaincre d’éviter à tout prix l’anacoluthe. C’est d’ailleurs ce que j’avais annoncé dans mon dernier article de blog Dix figures de style à utiliser, une à éviter. Toutefois, après avoir parcouru bon nombre de sites traitant de la question, après avoir lu énormément de phrases en contenant, j’ai réalisé non seulement que l’anacoluthe n’était pas toujours dramatique ni toujours facilement décelable, mais, surtout, que j’en faisais moi-même sans m’en rendre compte. Certaines sont en effet tellement ancrées dans le langage courant qu’elles sont acceptées et comprises par tous. Alors, franchement… pourquoi s’en priver ? C’est sans doute personnel, mais l’anacoluthe qui me rebute le plus, n’en déplaise à Pascal, est l’anacoluthe de sujet. Pour les autres, tant que c’est compréhensible…

 

Et vous, qu’en pensez-vous ? Ça vous parle ou l’anacoluthe ne vous fait ni chaud ni froid ?

N’hésitez pas à m’envoyer vos commentaires et vos questions à contact@larelectrice.fr

 

Au plaisir d’échanger avec vous !

Ludivine, La Relectrice

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